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Le travail de la morphosyntaxe : le sens
Au-delà de la distinction morphologie/syntaxe, j'avais envie aujourd'hui de vous parler d'une distinction fondamentale pour le travail de la morphosyntaxe qui va nous aider énormément pour la rééducation, la distinction qui fait intervenir la sémantique en morphosyntaxe. Il faut toujours se poser cette question : l'opposition morphosyntaxique que je veux travailler est-elle fondamentale pour le sens de la phrase ou alors est-ce juste une question de correction syntaxique liée aux contraintes de la langue ?
Je vais essayer de vous donner des exemples.
L'ordre des mots dans la phrase est fondamentale pour la structure Sujet + Verbe + Objet. Si on change l'ordre de la phrase, alors elle ne veut plus dire la même chose. Par contre, de nombreuses oppositions morphologiques notamment verbales sont redondantes la plupart du temps. Qu'on dise "les garçons viennent" ou "les garçons vient", l'interlocuteur comprendra bien la même chose, il pourra faire semblant de ne pas comprendre la phrase incorrecte mais dans une situation de vie quotidienne, on comprendrait cette phrase et à moins d'être proche du locuteur, on laissera passer cette phrase sans dire qu'elle est incorrecte (imaginons une personne d'origine étrangère qui essaie de parler français).
Lorsqu'on travaille avec des enfants, il faut toujours commencer par les oppositions qui changent le sens. L'erreur ou la non-maîtrise de ces oppositions est plus facile à modifier car il y a une rétro-action fonctionnelle. Si je dis "le garçon suit la fille" et que l'adulte prend la carte "la fille suit le garçon", alors l'enfant peut essayer de se corriger avec les moyens qu'on lui a donnés. En tant qu'orthophoniste, je ne triche pas dans la communication.
C'est pourquoi si on veut introduire les déterminants, il faut commencer par l'opposition singulier/pluriel qui est signifiante alors que l'opposition féminin/masculin n'est qu'une opposition de forme, de contrainte linguistique.
Le travail des oppositions liées au sens doit se faire en manipulation en premier. Les oppositions liées à la contrainte linguistique se travaillent par imprégnation, par sensibilisation et généralement plus tard avec les enfants qui ont des troubles majeurs. Pour une imprégnation, j'utilise souvent des présentations Powerpoint où je présente des images opposées et avec l'écrit. Dès qu'on travaille sur ces oppositions, il faut avoir de l'écrit, les pictogrammes ne sont pas suffisants, les supports symbolisant la syntaxe (méthode des jetons) aident à comprendre mais ne symbolisent pas forcément la différence. Prenons l'exemple de la morphologie nominale du pluriel (un journal, des journaux). Des jetons (de la méthode des jetons ou de toute autre approche, telle que celle de Montessori) nous permettent de symboliser le pluriel et l'écrit, la différence de morphèmes.
Et vous, faites-vous cette différence ? Comment déterminez-vous vos cibles dans vos rééducations de la morphoyntaxe ?
C'est la première fois que vous venez sur le blog ? Un document pour vous aider à voir ce que vous pouvez y trouver dans ce billet.
Tags : morphosyntaxe, reeducation, manipulation, sens, semantique
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Commentaires
Bonjour Léa,
merci pour ton commentaire. Je ne te rejoins pas totalement sur le bain de langage, en tout cas pour les troubles sévères. En effet, Maillart et Schelstraete l'argumentent très bien en citant les études qu'il faut mais pour la morphosyntaxe chez des enfants, une rééducation ciblée et qui conscientise est nécessaire. La règle doit être mise en évidence. Le bain de langage ne suffit pas. Par ailleurs, pour moi, il prend ils prennent n'est pas une confusion mais des difficultés à intégrer des exceptions. En français, le pluriel irrégulier audible concernent peu de verbes, même si certains sont très fréquents.
Pour le reste, je suis d'accord, activités de type PACE et Artiskit (il y a d'ailleurs un article sur mon blog à ce sujet dans les critiques de matériel) sont des précieux alliés.
Essentiel!Au début, je ne faisais pas bien cette distinction mais c'est bon maintenant, je suis vigilante.Par contre, le "un/une" je le symbolise directement sans le "travailler" et je demande aux parents de signer quand il y a une erreur.Donc j'automatise très rapidement la compréhension du signe "un" vs "une" et sur mes scènes imagées, il y a le symbole du genre.Les erreurs diminuent nettement voire disparaissent après quelques semaines quand je commence à 4 ans.Alors peut-être que depuis que je fais ça... j'ai eu de la chance avec des patients qui ne persistaient pas là-dessus.
Mais avant, je n'y arrivais jamais surtout avec le bilinguisme anglais/français (sauf une fois arrivé dans la lecture de manière fluide).Pour mes cibles en MS, je me base sur ta progression et aussi ce que j'ai vu avec Isabelle Bobillier-Chaumont!Edit : concernant les oppositions... je travaille rarement en opposition de manière générale mais par contre je le fais régulièrement en MS. Tout simplement pour permettre à mon patient de percevoir des marqueurs syntaxiques.Voilà!@ bientôt-
Jeudi 5 Mai 2016 à 12:43
Merci Ju Cat ! J'aime quand tu commentes mes billets !
Tout à fait d'acc pour les oppositions. En morphoysntaxe, c'est essentiel. En phono et lecture, effectivement, pas souvent pertinent, mais là encore, ça dépend.
Pour le un/une, dans mes séances, il est aussi signalé mais peut-être pas aussi systématiquement que ce tu racontes.
A bientôt, dans un prochain commentaire
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4ChristelleMercredi 29 Juin 2016 à 21:21Pour moi aussi, la priorité reste de travailler les oppositions qui donnent du sens. L'ordre des mots dans la phrase est prioritaire. Il n'est pas si rare que des enfants fassent des erreurs en compréhension alors qu'ils n'en font pas en expression. C'est important à repérer et à travailler de façon spécifique. Je ne vois pas bien comment faire pour le travailler sans opposer les structures?
Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire Ju Cat par "signer" le "un" et "une", Tu parles de LPC?
pour moi ça n'existe pas en LSF. je le travaille souvent en reprenant la structure phono de l'article en Borel.
Merci pour cet article et vos commentaires.
Christelle
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Vendredi 1er Juillet 2016 à 22:04
J'avais compris que Ju parlait de signaler le déterminant ? Mais je ne suis pas sûre. Effectivement pas de déterminant en LSF. Au centre où je travaillais, du coup, on codait les déterminants (avec la clé du code LPC).
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Pardon j'ai oublié de répondre...
Je ne sais plus d'où le signe vient... LPC, français signé, autre?Mais j'ai un symbole visuel qui est souvent reproduit sur mes scènes imagées pour décharger en mémoire + le signe (là je peux anticiper en langage plus spontané). :-)
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Réflexions très pertinentes pour lesquelles je te remercie.
j'ai tendance à penser qu'on ne devrait pas mettre en opposition les formes syntaxiques opposées mais fournir un bain syntaxique en ne variant qu'un élément non pertinent dans la confusion. Dans ton exemple pour travailler la confusion Singulier pluriel verbal (il prend, ils prennent), les différentes propositions seraient les filles prennent le bus. Les chats prennent les balles. Les enfants prennent une douche. Les voisins prennent leur courrier, etc.
Evidemment dans le cadre d'une autre séance on travaillerait de même avec le singulier en changeant les phrases.
Ce n'est qu'au bout d'une bonne imprégnation que je mélangerais les deux d'abord avec des phrases différentes puis en dernier lieu avec des phrases identiques.
L'excellent logiciel artiskit est vraiment une mine d'or pour créer les cartes pour moi qui suis une piètre dessinatrice et il fait gagner un temps fou.
Il existe un tas de situations ludiques différentes mais je ne t'apprends rien en ce sens.
Enfin, j'ai énormément apprécié la formation d'Isabelle Bobillier Chaumont. Elle m'a décoiffée!
Je suis d'accord avec toi pour cibler prioritairement les éléments morphosyntaxiques qui ne permettent pas à l'interlocuteur de deviner de quoi il s'agit réellement d'où l'excellent paradigme pace.
Par contre, je bénissais la période où j'avais des stagiaires qui assistaient le patient et permettaient une situation optimale au niveau pragmatique.